Quand vous pensez à un musée d’art, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit?
Des murs blancs? Le silence? La crainte d’être réprimandé si vous touchez à quelque chose? Le Agnes Etherington Art Centre (ou simplement le Agnes, comme on le surnomme) de l’Université Queen’s, à Kingston, souhaite bousculer ces idées reçues.
Confrontée à une fermeture de plusieurs années en raison d’une rénovation complète, l’administration du Agnes en a profité pour redéfinir complètement ce qu’un « musée d’art » pouvait être au 21e siècle. Intitulé « Agnes Reimagined » (Agnes réinventé), le projet d’envergure ne vise rien de moins que l’émergence d’un nouveau paradigme pour les pratiques muséologiques.
Pour obtenir de l’aide, les administrateurs se sont tournés vers l’Université Queen’s et L’expérience entrepreneuriale.
L’expérience entrepreneuriale, propulsée par le Hunter Hub for Entrepreneurial Thinking de l’Université de Calgary, permet aux étudiants de niveau postsecondaire de laisser leur marque en faisant équipe avec de vrais innovateurs dans le cadre de stages axés sur l’esprit entrepreneurial. L’Université Queen’s s’est jointe à l’Université de Calgary et à 11 autres établissements d’enseignement postsecondaires canadiens dans le cadre du programme L’expérience entrepreneuriale pour nourrir la créativité, la résilience et la vision d’avenir des étudiants afin de les doter des bonnes compétences pour la suite de leur parcours professionnel.
« Imagining Digital Futures for the Art Museum » (imaginer l’avenir en numérique pour le musée d’art) est un programme spécial permettant aux étudiants de l’Université Queen’s de s’impliquer auprès du Agnes alors qu’il se transforme en une vision muséale tournée vers l’avenir.
« Le musée du 21e siècle ne peut plus se contenter d’être un simple présentoir de l’histoire, comme si celle-ci n’avait aucune incidence sur notre monde contemporain, qui est en constante évolution. Agnes Reimagined se veut un pôle culturel dynamique et une force civique et sociale active; il mobilise le pouvoir transformateur de l’art pour créer un monde plus équitable, plus inclusif et plus durable. »
« Il ne s’agit pas d’une simple rénovation. C’est une réinvention de ce qu’un musée peut être », déclare Jake Vanker, coordonnateur de l’apprentissage expérientiel à la Faculté des arts et des sciences de l’Université Queen’s.
L’équipe responsable de l’apprentissage expérientiel et de la programmation, dirigée par Christina Dinsmore, directrice adjointe, s’occupe de tout – des communications jusqu’à la coordination d’événements – pour offrir aux étudiants de l’Université Queen’s l’occasion de vivre une expérience universitaire hors du commun et de prendre part à des activités académiques et parascolaires non traditionnelles : stages, stages d’apprentissage expérientiel, sorties éducatives, etc., sans oublier la chance de participer à la redéfinition totale de l’expérience muséologique.
Juste ça.
Même si elle travaille au sein de la Faculté des arts et des sciences, Christina a proposé, avec son équipe, à tous les départements de l’université de collaborer à un projet de L’expérience entrepreneuriale. Le professeur Gabriel Menotti a répondu à l’appel en suggérant le projet Agnes comme candidat potentiel pour L’expérience entrepreneuriale. Il croyait qu’il s’agissait d’un exemple parfait d’un organisme qui mettait tout en œuvre pour se préparer pour l’avenir.
Loin d’être un marathon de programmation, « Imagining Digital Futures for the Art Museum » est un programme de 80 heures qui octroie trois crédits. Il comporte six ateliers de remue-méninges avec le personnel du Agnes. Les étudiants qui y participent reçoivent une rétribution de 825 $ à la fin du stage offert par L’expérience entrepreneuriale. Il s’agit d’une initiative innovante, non pas seulement d’une activité parascolaire, mais bien d’un programme intégré à un stage.
« Il n’y a pas tant de façons d’attirer l’attention des gens de nos jours, convient Jake. Les étudiants recherchent ce type de programmes, mais il n’est pas facile de leur communiquer l’information. »
Le coordonnateur de l’apprentissage expérientiel doit recourir à de nombreuses tactiques pour faire connaître les expériences non traditionnelles, comme le programme Agnes, à la population étudiante. Si tous les moyens sont bons (infolettres, médias sociaux, etc.), l’approche personnelle est parfois la meilleure.
« Il arrive que les départements affichent le contenu sur les pages de leurs programmes, ou encore que des professeurs mentionnent le programme aux étudiants au début de leurs cours. C’est une chose de lire une publication sur un babillard, c’en est une autre de recevoir la recommandation directement d’un mentor. »
Le professeur Menotti n’a pas pris le chemin le plus court pour aboutir à son poste de professeur adjoint en études muséales des images en mouvement, au département de cinéma et médias de l’Université Queen’s. Il a étudié en journalisme, puis travaillé comme conservateur et chercheur indépendant dans ce qu’il appelle « un domaine étrange où se rencontrent l’art contemporain et les arts des nouveaux médias ».
Ses antécédents uniques lui donnent une perspective très actuelle, voire avant-gardiste, sur la façon dont les institutions traditionnelles peuvent et doivent changer pour conserver leur pertinence.
« On peut voir comment les gens partagent la culture et créent de nouvelles formes de culture sur les réseaux sociaux, explique-t-il. Il est clair qu’il y a un conflit de légitimité entre l’ancienne garde et la nouvelle génération, mais c’est très controversé en raison du rôle que jouent les grandes entreprises sur ces nouvelles plateformes. »
Le professeur Menotti a dirigé le programme à deux reprises, d’abord à l’hiver 2022 et à nouveau à l’hiver 2023. Guidés par M. Menotti et les membres du personnel du Agnes, 25 étudiants, en groupes de quatre ou cinq, se sont réunis pour des séances de prototypage rapide afin de développer des idées qui pourraient révolutionner le musée d’art. Ils ont ensuite présenté leurs concepts au musée. En donnant libre cours à la créativité des étudiants – pas seulement des étudiants en art, mais aussi des étudiants en psychologie, en sciences et en commerce –, l’administration du Agnes a la possibilité de voir le musée de la même façon que le professeur Menotti a toujours vu les établissements voués à l’art : à travers les yeux du public
Le projet misait surtout sur le site Web du Agnes, en particulier le portail des collections, c’est-à-dire l’interface par laquelle les gens interagissent avec la collection. Les présentations des étudiants étaient variées, par exemple un portail d’activités pour enfants pour inspirer une nouvelle génération d’amateurs d’art, ou encore un système de marquage géolocalisé qui permet aux gens de laisser des messages accessibles au moyen de la réalité augmentée, un peu comme un mur numérique de petites notes autoadhésives.
Le prototypage rapide a beau être… rapide, mais le changement institutionnel, lui, est lent. Le professeur Menotti reconnaît que les idées qui sont ressorties à chaque cours étaient rapides et génératives. Le but n’était pas de produire des idées que le Agnes pourrait mettre en œuvre immédiatement, mais bien d’amener l’institution à s’ouvrir à de nouvelles idées et à penser autrement.
Pour le public, cette rénovation et cette réinvention pourraient se traduire par une plus grande interactivité et une démocratisation de l’accès au monde de l’art.